Electric Manchakou par Julian Cope

Publié le par Thierry Tannières

AVERTISSEMENT cette tentative de traduction par Terry Den est basée sur les 4 pages consacrées à Electric Manchakou dans :

Copendium, an expedition into the Rock ‘n’ Roll Underworld

de Julian Cope

Faber and Faber London 2012 – 722 pages – 25x19cm – inédit en français

Electric Manchakou (Spirit of Punk, 1993)

Side One

Murder (1.38)

Sudden Bummer (2.28)

Sexy Sucky (2.20)

Cripple Death Dwarf Must Pay (4.20)

Landlord (1.05)

Side Two

I Won’t Break (2.11)

Fucking With Four Eyes (1.40)

Animal Man (2.03)

She Said (1.38)

Hey (3.09)

Lessivé par deux mois à écouter du dark metal supersonique, assorti de plusieurs ingestions de toutes sortes d’acides et de descentes en enfer, je me disais que je me ferais – non, que nous nous ferions - un immense plaisir en choisissant quelque chose de psychiquement plus léger pour l’Album du Mois. (NdT : Album of the Month 2006 sur Unsung site/blog de Julian Cope) Attachez-vous donc solidement à votre chaise et écoutez cet acétate oublié, un fracas garage tout juste post-ado, et laissez l’enthousiasme vous aérer la gelée psychique. Jawolh, mein chevelus, c’est le LP le plus court du monde, dans le sens où une fois qu’il a dit ce qui avait à dire, il ne force pas le trait, il met les bouts, fissa. Dans un monde où tous ces albums longs et pénibles sont la norme, n’est-il pas super de retourner (même provisoirement) à la brièveté mythique, selon George Orwell, d’une bonne chanson haineuse de 2 minutes, jouée par des crétins ayant les mêmes problèmes métaphysiques que les Ramones.

Le groupe tire son nom d’un mot japonais qui désigne les pratiques frauduleuses dans les affaires et qui inclue la tromperie, la tricherie et la supercherie. Et maintenant vous savez.

Cachez-vous le tuyau avec une perruque à la Joey Ramone

Il est évident que le cas d’Electric Manchakou était foutrement prévisible. Des types qui voulaient être les Stooges ; une blague ; un deal pour deux singles ; refermez le dossier. C’est peut-être le cas, car si ces Italiens basés à Londres étaient des obsédés des Stooges – ce qu’ils devaient être certainement – ils ne le montraient pas de la façon habituelle, du style j’m’ennuie - j’suis pas méchant dont faisaient preuve la plupart des branleurs du genre (de GG Allin à Steven ‘Stiv’ Bators) mais plutôt en affichant le même enthousiasme et la même détermination, blanche comme neige, qui avaient influencé, par exemple, la couleur des premières chansons des Modern Lovers par rapport au son du Velvet Underground, ou encore animé cet esprit tatillon avec lequel le binoclard Buddy Holly exhibait son obsession pour Bo Diddley. En d’autres termes, Electric Manchakou brûlait plein feu d’une ferveur rarement rencontrée parmi les rangs des adorateurs de Dee-chatte-casse-couilles.

Emmené par Marc Duran, haut comme trois pommes, et El Tel Tannier son fidèle complice, grand, dégingandé, le beau gosse au regard vide et la guitare en bandoulière, Electric Manchakou était une étincelle brillante et pleine de fougue, naïve, habitée par la sensualité ado et l’éclatante confiance, curieusement sportive, de collégiens pas du tout boutonneux. Ils prenaient des drogues ? Pas vraiment, ils sniffaient même pas de la colle… Passaient leurs week-ends à avaler des expectorants Benglin ou à picoler le cherry QC de leurs parents. Si on considère la merde que s’envoyait les Stooges, un truc tellement toxique qu’il aurait fallu la stocker dans une benne rouillée Tchernobylesque débordant de déchets chimiques, Electric Manchakou était en comparaison une corbeille à papier bien propre, en plastique jaune moulé, pleine de dissertations collées entre elles par du chewing-gum et de mouchoirs souillés de foutre. Ils ressemblaient à Eater ?(NdT : groupe punk 77 dont le nom est tiré d’une chanson de Marc Bolan). Non, ceux-là étaient trop jeunes, pré pubéres, ils bandaient pas encore. Comme les Undertones, alors ? Même pas, ce groupe était trop maladroit, des Jilted John, (NdT : personnage de l’ado éconduit par sa fiancée crée par Graham Fellows, auteur et chanteur humoristique de Manchester dont le 45t sur Rabid Records devint un tube grâce à la programmation répétée de John Peel. Son second LP fut même produit par Martin Hannett ! ) ils étaient incapables d’être aussi sexy que ces fils de pute excités de Manchakou ; d’autre part, les gars de Derry étaient carrés et disciplinés. C’est sûr, il est bien évident, d’après les photos de Manchakou et le contenu de leurs chansons, qu’ils pensaient plutôt à baiser que de s’acharner à passer du temps à écrire ces chansons. Parlons alors de la frivolité des Damned ? Ouais, nous nous rapprochons… Pour le délicieux faux-ennui des Damned à leurs débuts, quand ils jouaient ‘Fan Club’ ? C’est sûr, ce côté égocentrique, ce repli sur soi, ce côté Emo prototype (NdT : Emo pour emotive, sous-genre du punk hardcore) pourraient étayer mon analogie avec Electric Manchakou. De plus, les Manchakou devaient avoir un truc avec les éditions limitées à 666 exemplaires, bien qu’ils ne fassent pas du tout partie du club des démoniaques. Sur la pochette d’un single ils apparaissent même dans leurs cosies d’hiver ! Bon, a-t-on jamais vu un jour Iggy en robe de chambre sur une pochette de disque ? Non, jamais ; et surtout pas à ses débuts. Mais les Damned barbouillés de gâteau, ça le ferait. (NdT : pochette de leur second LP Neat Neat Neat 1977) En soulignant le fait qu’ils débarquaient après le punk, les Manchakou se sont toujours focalisés sur l’overdrive au son clair des deux premiers albums solos d’Alan Vega, ça aussi c’est un élément. Ce rockabilly simple et futuriste qui propulse le premier LP éponyme et son successeur, le classique Collision Drive, on le retrouve dans les grooves d’Electric Manchakou. Et comme sur ‘Collision Drive’ de Vega, ils ont ce son direct et sans fioritures de ‘Primitive Love’ de Suzie Quatro – un son qu’on obtient seulement en enregistrant du premier coup et à fond les gamelles le minimum d’instruments, les uns plus forts que les autres.

Mais vous savez quoi ? On s’en fout des groupes qui voudraient être les Stooges, Electric Manchakou avait quelque chose d’autre. Comme Lou Reed et Ron Asheton, El Tel Tannier était un de ces grands guitaristes rythmiques punks qui était forcé de jouer les solos. En outre, les mélodies du chanteur Marc Duran empoignent, dès les premiers instants, celui qui les écoute, la répétition têtue des mots lui garantissant de s’insinuer dans son cerveau quelques secondes après avoir envahi ses esgourdes. Et Duran ne lâche jamais une parole sans pousser un cri, un braillement ou en rotant de façon irritante à la Kim Fowley, et rien ne semble lui suffire. Des aboiements, des bruits de dégueulis, des bangs, des hurlements, n’importe quelle éructation ou remontée de bile fait l’affaire avec Duran. Bon, c’était peut-être des acolytes des Stooges mais ces Italiens qui sortaient tout juste de l’adolescence auraient bien aimé être également les plus jeunes frères des capitaines des pom-pom girls des MC5, période ‘Back in the USA’ (production clean et tout le bataclan) et du premier LP des Dictators ‘Go Girl Crazy’ (c’est à dire que pendant que leurs parents étaient censés faire la lessive, eux ils se paluchaient la bite, la pénétration totale n’était pas encore prévue au programme).

Ces chiens voraces de Manchakou voulaient aussi faire partie de chaque volume des compilations ‘Pebbles’ ‘Back from the Grave’ et ‘Soupe au Chocolat pour Diabétiques’ (sans oublier évidemment New England Ado), faire partie de chaque EP des Troggs, de chaque simple des Buzzcocks. Ils étaient quand même assez adultes (juste un peu) pour reconnaître le besoin d’inclure dans leur musique le pilonnage funk de ‘Declaration of War’ initié par le Reichführer Ronald Odeur Asheton avec son groupe The New Order (NdT : leur infâme cri de guerre the war against the jive avait mis tout le monde mal à l’aise à l‘époque), juste après la séparation des Stooges (l’incarnation du son de Détroit de 1975 dont les membres étaient des ex-MC5, des ex-Amboy Dukes ou des ex-Stooges), un projet avorté (mais souvent génial).

Si vou-z faîtes un peu attention aux singles d’Electric Manchakou, alors vous aurez peut-être raison d’écarter cette bande, parce que ‘Hey’ le premier 45 tours de 1989 était un disque générique comme, par exemple, la plupart des chansons les plus inventives de Métal Urbain pourraient aujourd’hui sonner de façon identique les unes par rapport aux autres ; d’un autre point de vue, ‘Animal Man’ leur second 45 sorti en 1990 a sûrement été réalisé (même avec un refrain accrocheur comme un mort de faim: ‘I’m an animal man/I love my shit’ ‘J’suis un animal/J’aime ma merde’)) avec une section rythmique speedée, un temps de studio limité et n’a bénéficié d’aucune distribution adéquate de la part de leur micro label. Mais il y a fort à parier que la vraie raison de l’indifférence à leur égard est qu’il n’y avait personne d’autre, à part eux, dans cet état d’esprit à cette période. Avec leurs chansons rassemblées sur les deux faces d’un LP, ces arsouilles de Manchakou commencent à avoir du sens.

‘Le Rock Est une Chose Très Sérieuse’

La Face A démarre par la minute et demie de ‘Murder’. Un classique sous-Stones, un hymne barjot dans la tradition Speed, Glue & Shinki (NdT : trio nippon rock psyché circa 1970). C’est une chanson qu’a repris Brain Donor (NdT : le groupe de Julian Cope avec 2 ex membres de Spiritualized entre 1979 et 2003, leur second LP s’intitule ‘Too Freud to Rock’n’roll, Too Jung to die’ – 2003). Au-dessus d’un riff fuzz très, très épais, Marc Duran déclare : ‘I’m walking down the street/And I’m looking for wild shit’ ‘Je descends la rue/Et je cherche vraiment la merde’). Dans le second couplet, Duran ‘Still walking down the street’ (‘Descends toujours la rue’) tandis qu’ El Tel Tannier soulève sa gratte et réduit en pulpe sanguinolente une poignée de riverains en goguette. En moins de deux c’est terminé.

Le morceau suivant, ‘Sudden Bummer’, avec son funk/wah-wah rageur, guerrier, et son double refrain ‘Antiseptic you’, est le morceau évoqué plus haut, le frère jumeau de l’épique ‘Declaration of War’ de The New Order en 1975. Ce morceau de Manchakou est soutenu par une batterie encore plus excessive dans ses boucles, que celle que Dennis Thompson ex-MC5 était capable de fournir à la vision démente d’Asheton.

Vocalement, ‘Sexy Sucky’ est carrément plaqué sur la manière de chanter en hiccup (hoquets) d’Alan Vega en solo et trace sa route à travers une litanie de vomissements qui semble infinie, clichés mis à part, mais joué à la Spiral Scratch (NdT : 1er EP des Buzcocks) avec un son de tronçonneuse ramalama (NdT : référence à Rocket Reducer n° 62 ramalama Fa Fa Fa de MC5), d’une simplicité inachevée mais avec des breaks de guitare lead pleins de charme, tandis que la guitare rythmique très rapide, implacable, rappelle aussi le LP Live 1969 du Velvet.

Avec ‘Cripple Death Dwarf Must Pay’ (‘La Mort du Nain Estropié Devrait Payer’), les Manchakou réunissent, dans ce titre long et monotone au groove bourdonnant, ‘Pablo Picasso’ des Modern Lovers et ‘Mother Sky’ (NdT : Mother Sky est un morceau de Can que l’on entend dans le film Deep End de Skolimoski et qui figure sur le LP Soundtracks, 1970). Une chanson que vous suspecteriez avoir toujours fait partie de leur répertoire mais qui n’aurait pas dû figurer sur un disque. Bon, ici le champ visuel se rétrécit et le morceau se rassasie de ces hurlements lupesques tout droit sortis d’ ‘Interzone’ de Joy Division ; le genre de truc que Mono Man de DMZ aurait pu magnifier, mais qu’en réalité (à part peut-être ‘Don’t Jump Me Mother’ et ‘When I Get Off’) il n‘a accompli que très occasionnellement. Marc Duran remonte du glaviot, caquette, dégueule presque, et se met ensuite à crier quelque chose au sujet d’un ‘freak who is running wild’ (‘d’un barjot qui part en couilles’), et vous avez l’impression qu’il s’agit du même personnage dangereux que le zonard qui hante fréquemment les chansons de David Johansen des New York Dolls (‘Jet Boy’ et ‘Frankenstein’ en particulier).

La Face A se termine par ‘Landlord’ un titre qui dure une minute et qui, musicalement, se révèle être une astucieuse summum bonum (une fin en soi) des années 60 toutes entières ; quelque chose comme ‘Loose’ des Stooges mixé avec une version encore plus compressée de ‘Full Moon on the Highway’ de Can ou bien du classique ‘Out’ de White Heaven (NdT : un groupe nippon néo psyché circa 1984). Et le fait de chanter comme Grace Slick dans ‘Greasy Heart’ (NdT : single extrait de Crown of Creation, quatrième LP de Jefferson Airplane en 1968) sur un background à la Sounds Incorporated (NdT : groupe pop instrumental anglais des années 60) n’a jamais gêné mon vieux groupe The Teardrop Explodes, je ne vais pas chercher des poux à Manchakou de faire précisément la même chose, parce que ça reste quand même une formule à vous faire écrouler de rire sur le champ.

La Face Deux déboule avec le ramalama de ‘I Won’t Break’, dont les seules paroles sont ‘I won’t break/And I don’t care’ (‘Je craquerai pas/Et je m’en fous’).Yeah, Marc, à ta guise. Des chansons directes comme celle-ci tracent une ligne de son tellement simple que le court pont de la guitare solo apparaît comme un effort majeur avant que les grognements porcins et les braillements de bourrique de Duran annoncent le retour du riff initial. Intéressants, les accords d’ouverture de ‘Fucking with Four Eyes’, un morceau au titre bien choisi, sonnent comme les énormes samples orchestraux que Duran emploiera plus tard au cours de sa carrière solo. Mais, ici, nous sommes toujours à fond la caisse, sur cette bonne vieille autoroute, en compagnie d’une ligne de basse disco étrange et frénétique. Vient ensuite ‘Animal Man’, dont j’ai parlé plus haut, vous imaginez aisément le système pileux du type, le morceau frise les 2 minutes et les paroles répètent les phrases ‘I’m an animal man/I love my shit’ et ‘I’m an animal/I love my dick’ (‘J’suis un animal et j’aime ma merde’ et ‘J’suis un animal et j’aime ma queue’). D’autres hurlements, une guitare furieuse qui nettoie le chemin et ils tournent les talons. ‘She Said’ est calquée sur ‘Sexy Sucky’ et doit être une des chansons favorites de Duran car il l’a réenregistrée plus tard sur un de ses disques en solo.

Bon, après un peu moins de trente minutes, cet unique album d’Electric Manchakou finit juste comme il a commencé. À donf, avec cette voix qui se transforme en solo de guitare et dont le riff garage va croissant au fil des trois minutes que durent leur premier 45t ‘Hey (the human guitar)’. Dans le contexte du disque, ce morceau est homérique avec cette guitare qui ne finit pas de monter sur des accords saturés évoquant le son d’un orgue, débitant une lecture nouvelle de la scène garage américaine comme seuls les Européens semblent capables de le faire. Inévitablement, cela se termine trop tôt et nou-z en sommes réduits à faire tourner le disque encore et encore pour prendre notre pied. Shit.

Discographie

‘Hey (the human guitar)’/ ‘She Said’ & ‘Murder’ (45t, Innocent Rec, 1989)

‘Animal Man’/ ‘I Won’t Break’ & ‘Landlord’) (45t, Helter Skelter, 1990)

Electric Manchakou (Spirit of Punk, 1993).

'ELECTRIC MANCHAKOU' (LP Mémoire Neuve, MN 010 - 2011).

Julian Cope ouvrages traduits en français (musique) :

KRAUTROCKSAMPLER (2005) Guide personnel de la grande kosmische muzicale, Éd. de l’Éclat, 2008

JAPROCKSAMPLER (2007) L’incroyable explosion de la scène rock japonaise, Le Mot et le Reste, 2012.

Electric Manchakou - LP Mémoire Neuve - 2011

Electric Manchakou - LP Mémoire Neuve - 2011

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